Konstantino Gavras naît le 13 février 1933 à Loutra Iréas en Arcadie (Grèce). Il doit fuir Athènes à l’âge de 19 ans en raison des opinions politiques de son père. A Paris, il suit des cours à la Sorbonne et se rend fréquemment à la Cinémathèque, sise à l’époque rue d’Ulm. Lorsqu’on lui demande quel est son meilleur souvenir de cinéma il déclare : « J’ai suivi un groupe d’étudiants qui allaient voir Les rapaces d’Erich von Stroheim. J’en suis tombé par terre (…) : c’était mon 1er choc de cinéma ».
Il entre à l’IDHEC, réalise un court-métrage en 1958 Les ratés puis devient assistant de metteurs en scène comme : René Clément (Le jour et l’heure en 1962, à l’occasion duquel il fait la connaissance de Simone Signoret et d’Yves Montand puis Les félins en 1964), Henri Verneuil (Un singe en hiver ) en 1962, Jacques Demy (La baie des anges) en 1963 et Jean Becker (Echappement libre ) en 1964. « Pour moi, l’écriture semblait une chose lymphatique, l’image ça bougeait ».
En 1965, il adapte avec l’auteur Sébastien Japrisot Compartiment tueurs qui contient, malgré son apparence de « policier » toutes les dénonciations qui figureront dans Z où seront présents un certain nombre d’acteurs de ce film : Yves Montand, Simone Signoret, Jacques Perrin et Jean-Louis Trintignant.
« Le cinéma est un spectacle qui raconte la vie. On ne va pas dans les salles obscures pour assister à un cours académique. J’essaye de tourner des films comme j’aime. Il faut trouver une forme, un style, un rythme qui emporte le spectateur ». « La fiction est un moyen de faire sentir le réel, ce qui nous échappe. Quand on voit des gens qui passent dans la rue on ne les regarde pas. Dans un film oui. Le cinéma apporte un autre regard ».
En 1969, il réalise (avec comme stagiaire Alain Corneau) et produit Un homme de trop adapté du roman de Jean-Pierre Chabrol (1958) qui participe au scénario. Le thème en est la résistance et le maquis. C’est un échec commercial que le cinéaste explique par le mythe encore tenace d’une résistance unie. Il dira plus tard au JDD : « Le pire c’est quand on fait un film qui ne marche pas (il cite celui-ci). Les critiques étaient contre, le public n’est pas venu le voir(…) C’est un choc épouvantable, surtout pour un 2ème film. Avec le temps on s’habitue. A mon âge je pense que le plus important est que le film existe ». La distribution réunit, entre autres : Bruno Crémer, Jacques Perrin, Michel Piccoli, Claude Brasseur, Michel Creton, Gérard Blain…
Il épouse en 1968 Michèle Ray, journaliste (née en 1939). Ils ont 3 enfants (1969, 1970 et 1981). Productrice des films de son époux, elle l’est également pour ceux de Mehdi Charef (Miss Mona, Camomille, Cartouches gauloises…et Rainbow pour Rimbaud de Jean Teulé par exemple.
En mars 1967, il effectue un court séjour à Athènes et lit le roman de Vassilis Vassilikos (1966), Z, inspiré de l’assassinat à Thessalonique d’un député de gauche, Lambrakis. Il écrit le scénario avec Jorge Semprun. Jacques Perrin crée pour financer le film (qui sort en 1969) sa propre maison de production et utilise ses contacts pour organiser le tournage en Algérie où il a lui-même réalisé un court métrage. Le titre provient de la lettre grecque Zêta dont l’initiale signifie : il vit, il est vivant. Irène Papas complète la distribution des acteurs précédemment nommés. Jean-Louis Trintignant reçoit à Cannes le prix d’interprétation masculine et le film le prix du jury lors de la même cérémonie ainsi que l’Oscar du meilleur film étranger au compte du pays qui le coproduit et un Golden Globe. La musique est signée Mikis Theodorakis (1925-2021). Avec cette réalisation, dénonciation politique, c’est l’avènement d’un genre nouveau et la mode du film politique est lancée. Il donne un propos plus universel à cette histoire d’assassinat politique. Il dira dans un entretien pour le JDD : « Il y a un changement radical par rapport à l’époque de Z : quand on parlait de longs métrages engagés ou sociaux, ça irritait un certain nombre de gens. Il fallait soit du divertissement, soit une écriture esthétique ». Le 11 mai 1971, la veuve du député poursuit en justice le réalisateur et les producteurs pour atteint à la vie privée et à la mémoire de son mari.
Son cinéma se veut politique. Ses objectifs « Toucher un large public, éduquer, ne pas restreindre son audience à celle d’une élite, créer des liens, informer et faire réfléchir plutôt qu’être didactique ». (Encyclopédie du cinéma de Roger Boussinot).
Claude Lanzman lui parle d’Arthur London, un des 3 rescapés des procès de Prague. Le financement du film se fait grâce au succès de Z. L’aveu, sorti un an après, stigmatise les pratiques staliniennes au début des années 50et dénonce les méthodes politiques du régime tchécoslovaque qui ne recule devant aucun moyen afin d’obtenir de ses victimes des aveux fabriqués de toutes pièces. Le cinéaste poursuit sa volonté de viser tous les totalitarismes et permet à Yves Montand ( qui avait besoin de régler ses comptes avec son propre passé de militant politique) d’accéder à un des plus beaux rôles de sa carrière. Il est entouré de Simone Signoret, Michel Vitold, Jean Bouise, Michel Robin, Michel Beaune. Alain Corneau est devenu assistant réalisateur, le scénario, d’après le livre d’Artur London, est coécrit avec Jorge Semprun. La démarche du trio était délicate avec cette dénonciation d’un régime avec lequel il partageait un certain nombre de valeurs. Le film est projeté le 17 janvier 1990 en présence de Vaclav Havel. Lisa London est présente avec le cinéaste et l’acteur principal. Son époux est mort en exil en 1986, peu après Simone Signoret. Une représentation a lieu à Moscou le 6 juin de la même année.
Etat de siège en 1972 traite de la dictature et de la torture en Amérique latine. Assisté de Christian de Chalonge, le réalisateur évoque l’enlèvement de Dan Mitrone, agent du FBI sous couverture de l’AID par les Tupamaros en 1970. Le film « n’obéit guère aux règles de la dramaturgie théâtrale, de la pièce en 5 actes qui président aux autres films ». (Encyclopédie). Yves Montand est entouré de Jacques Perrin, Renato Salvatori et Jacques Weber. Mikis Theodorakis, comme pour Z, signe la musique interprétée par Los Calchakis. Prix Louis-Delluc et British Academy Film Awards.
En 1975, le cinéaste retrouve Jorge Semprun pour le scénario de Section spéciale d’après L’affaire de la Section Spéciale d’ Hervé Villeré. Le film retrace un épisode particulièrement horrible du régime pétainiste (représailles légales contre des innocents par la promulgation de lois rétroactives) et reçoit le prix de la mise en scène ex-aequo avec Les Ordres du Canadien M. Brault à Cannes et devient le 3ème film étranger au National Board of Review. Les autres films (Z, L’aveu, Etat de siège) ont pour fil conducteur le monde politique et la justice. Ici c’est une reconstitution minutieuse d’événements historiques établie sur l’œuvre de H. Villeré qui a consulté les archives allemandes (celles de France lui ont été interdites). Un paragraphe sur le film est développé en fin d’article.
En 1979, il adapte le roman de Romain Gary Clair de femme avec Romy Schneider et Yves Montand, présenté en compétition à la Mostra de Venise. Il s’agit « d’une tentative de profanation du malheur, d’un hymne à la vie et d’une réhabilitation du couple ». Désemparé après sa rupture avec sa femme, un homme rencontre une mère qui a perdu son fils dans un accident. A cette époque Cota-Gavras décline l’offre faite par Hollywood de réaliser Le Parrain.
Missing en 1982, est réalisé d’après le livre de Th Hauser, L’exécution de harles Horman, basé sur une histoire vraie : la disparition d’un journaliste américain durant le coup d’état du général Pinochet en 1973. Ce qui a le plus touché le cinéaste est la recherche coûte que coûte du disparu par son père (Jack Lemmon, prix d’interprétation masculine)) et la belle-fille de celui-ci (Sissy Spacek). Palme d’or à Cannes, ex- aequo avec Yol de Ylmaz Güney, le film reprend la lutte du réalisateur contre le totalitarisme visant cette fois la conscience américaine, ce qui explique la controverse aux Etats Unis car le rôle des agents du gouvernement est mis en lumière. Le long métrage est cependant toujours montré dans les grandes universités de ce pays. Mais, la même année, alors que le metteur en scène vient d’être nommé président de la cinémathèque de Paris (il le sera jusqu’en 1987 puis à partir de 2007 en remplacement de Claude Berri souffrant) une protestation arrive du département d’état de Washington : l’ancien ambassadeur au Chili affirme s’être reconnu dans les personnages et réclame (avec 2 de ses anciens adjoints) 150 millions de dollars pour diffamation.
Hanna K, en 1983, avec Jill Clayburgh et Jean Yanne raconte comment une avocate juive d’origine polonaise, née aux USA, française par son mariage et devenue israélienne par choix, doit défendre un Palestinien revenu au pays et revendiquant ses titres de propriété. Film produit par son épouse. Le cinéaste reçoit en 1985 la médaille du mérite des Beaux- Arts.
En 1986 c’est une comédie Conseil de famille d’après le livre de Francis Ryck qui voit le jour. Une famille unie et le fidèle ami Faucon percent des coffres forts. Le fils décide de les aider et est particulièrement doué. Mais quand il tombe amoureux, il décide de tout arrêter : le conseil de famille se réunit. Avec Johnny Hallyday, Fanny Ardant et Guy Marchand.
La main droite du diable, en 1988, avec Debra Winger, raconte l’enquête d’une jeune agente du FBI sur l’assassinat d’un animateur de radio au ton décapant qui lui crée de nombreux ennemis ; ses investigations la conduisent dans le Midwest sur les traces d’un fermier ancien combattant du Viêt-Nam. Le début du film s’inspire en partie de l’assassinat en 1984 de l’animateur radio et avocat Alan Berg. (En 1988, Oliver Stone dans conversations nocturnes reprend ce thème).
L’année suivante, Music Box (avec Jessica Lange) montre comment une jeune avocate qui veut prouver l’innocence de son père tombe dans la spirale du passé un peu trouble de celui-ci : d’origine hongroise il est accusé d’avoir été un tortionnaire au service des nazis. Le film a reçu un Ours d’or, ex- aequo avec un film tchèque.
André Dussolier, Pierre Arditi et Maurice Bénichou sont réunis en 1993 dans La petite apocalypse , d’après l’œuvre de Tadeusz Konwicki : un homme, soupçonné d’avoir voulu se suicider durant une fête chez son ex-femme, provoque toutes sortes de réactions parmi ses proches.
MadCity, en 1993, réunit John Travolta et Dustin Hoffman. Un présentateur vedette de télévision se voit relégué sur une petite chaîne. Pris un jour en otage, il voit l’opportunité d’un énorme scoop qui lui permettrait de revenir au premier plan mais la situation dérape. En 1996, le réalisateur est fait Chevalier de la Légion d’honneur (Officier en 2013 et Commandeur en 2019).
Amen en 2002 est meilleur film au Festival des Lumières et reçoit un César pour le scénario original. Durant la 2ème guerre, en Allemagne, un médecin devient le superviseur de l’approvisionnement en gaz Zyklon B des camps de la mort. Il découvre l’horreur des camps et cherche à alerter le Vatican. D’après l’œuvre de Rolf Hochhuth Il s’agit de l’adaptation cinématographique de la pièce de Rolf Hochhuth Le vicaire critiquant l’inaction du pape Pie Xii. Avec Ulrich Tukur, Mathieu Kassovitz et Michel Duchaussoy.
Le couperet en 2005 est une fable sociale sur les méfaits du chômage avec José Garcia et Karin Viard. D’après le livre de Donald Westlake, il raconte comment un cadre, licencié comme ses collègues pour cause de délocalisation, veut retrouver un poste à son niveau, quitte à supprimer les concurrents. Comme pour plusieurs autres réalisations, le dialogue est coécrit avec Jean-Claude Grumberg. Le cinéaste est président de la Berlinale en 2008. L’année suivante sort Eden à l’ouest qu’il produit avec son épouse comme elle l’a fait pour les 3 précédents. C’est un road movie dramatique qui raconte l’odyssée d’Elias (Riccardo Scarmarcio), jeune immigré en partance pour Paris et ses multiples rencontres en Méditerranée, Italie et France. En 1911, un collège du Mans qui propose des classes de cinéma porte son nom. Le capital, en 2012, est un thriller financier basé sur le roman de Stéphane Osmont (2004). Le jeune protégé d’un président de la 1ère banque européenne est propulsé par la maladie de celui-ci à la tête de l’établissement mais se retrouve très vite confronté à l’offensive d’un fonds spéculatif américain. Avec Gabriel Byrne, Gad Elmaleh, Bernard Le Coq. Cette année-là le réalisateur est président du jury au festival de Deauville. En 2013, il reçoit un Magritte d’honneur. En 2017, il devient lauréat du prix France-Culture Cinéma et obtient un prix en Catalogne. En 2019, on lui remet le prix Jaeger-LeCoultre à Venise et il réalise Adults in the room qui a pour thème la crise financière en Grèce en 2015. Un Léopard lui est remis au festival du film de Locarno en 2022.
Outre son activité de réalisation, il participe aux scénarios de Monsieur Klein de Joseph Losey en 1976 et de Mon colonel de Laurent Herbert qu’il produit en 2006. Il produit également Un thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef en 1985. On le voit jouer dans La vie devant soi en 1977, Drôles d’espions en 1985 et Les stupides de John Landis en 1996. Il a publié ses mémoires au Seuil en 2018 : Va où il est impossible d’aller.
SECTION SPECIALE : film de 1975. Après Un homme de trop (1967) et avant Music Box (1989) il a pour cadre historique la seconde guerre mondiale et reçoit le prix de la mise en scène décerné par le jury du festival de Cannes présidé par Jeanne Moreau.
Le réalisateur a eu avant ce film un autre projet : il en a écrit le scénario avec Franco Solinas (La bataille d’Alger) et fait appel à Jean-Paul Belmondo. Cette réalisation n’aboutit pas (blessure de l’acteur ; conflits entre les producteurs) et Alain Delon, acteur et producteur confie à Joseph Losey Monsieur Klein.
Il raconte la création en 1941 par le gouvernement de Vichy d’une cour spéciale chargée de juger les résistants ou les présumés résistants en dehors donc des tribunaux habituels à la suite de l’assassinat d’un assistant militaire de la Kriegsmarine par Pierre Georges (futur colonel Fabien) appuyé par 3 camarades le 22 juin 1941 à 8h 05 sur le quai de la station de métro Barbès-Rochechouart. L’attentat est attribué aux communistes et 6 d’entre eux sont traduits en justice pour être condamnés à mort.
L’intrigue est centrée sur Pierre Pucheu (Michel Lonsdale), ministre de l’intérieur de Vichy : le maréchal demande à tout son gouvernement de laisser agir cet homme. (Il sera condamné à mort à Alger en mars 1944). Le réalisateur a choisi de ne pas montrer le maréchal, ce qui, dans son extrême souci de véracité aurait, même avec maquillage, conduit à l’échec. N’apparaissent que ses mains et ses manches ; la voix est celle d’un imitateur. Tous les personnages du régime sont représentés.
Vichy montre l’entassement du gouvernement dans une petite ville, l’importance des décisions prises et la quasi-déification du maréchal. Tournage à l’hôtel du Parc où des pancartes (en carton) sont accrochées à l’entrée. Les puristes diront que, en regardant par certaines fenêtres, il est impossible de saisir ce que voit le personnage. Paris sert également de cadre : la station de métro, le boulevard Bonne-Nouvelle (avec les rues de La Lune et de Cléry), le parvis du Sacré-Cœur, le parc Monceau et l’avenue Rapp.
Petites remarques : le film s’ouvre sur une représentation de Boris Goudounov mais le texte d’origine (« c’est de vous-même que je veux tout savoir) devient : « c’est de vous-même que j’entends tout savoir ». De même la Francisque diffère de même que la tenue de l’amiral Darlan, rôle tenu par Ivo Garvani, normalement 5 étoiles et 2 feuilles de chêne)
La distribution regroupe : les hommes politiques (Louis Seigner, François Maistre, Roland Bertin…), les magistrats et avocats (Pierre Dux, Jacques François, Claude Piéplu, Jacques Perrin, Michel Galabru, Julien Guiomar, Jean Bouise, Julien Bertheau…), les Allemands ( Heinz Bennent, Romain Bouteille…), les résistants (Jacques Spiesser, Nathalie Roussel…), les prévenus (Bruno Cremer, Yves Robert…), les autres rôles (Maurice Baquet, Maurice Dorléac, William Sabatier, Thérèse Liotard…). A noter : Yves Montand, habituellement rôle principal, apparaît avec Costa-Gavras et Bob Castella en milicien mangeur de soupe.
............................................................................................................................Claudine