« un cinéaste du temps », directeur de théâtre, metteur en scène, écrivain italien.
Né le 2 novembre 1906 à Milan, où sa famille régna jusqu’au 15ème siècle, il est le 4ème d’une fratrie de 7. Une de ses sœurs épousa un compositeur et chef d’orchestre Franco Mannino qui fut fréquemment son collaborateur. La famille possède une loge à la Scala et chez sa mère il rencontre Puccini et D’Annunzio.D’elle il dit : « Elle aimait beaucoup la vie mondaine, les grands bals, les fêtes fastueuses mais elle aimait aussi ses enfants, la musique, le théâtre. C’est elle qui s’occupait chaque jour de notre éducation, qui m’a fait apprendre le violoncelle ». Instable, hypersensible, tourmenté, il fait des fugues et connaît une brève crise mystique. Très tôt il aime monter des pièces de théâtre en amateur. Une fois son service militaire accompli, il s’intéresse à l’amélioration de la race chevaline. Après un projet de mariage avorté à cause du père de la jeune fille, il se tourne, à 29 ans, vers les amours masculines avec le photographe de Vogue, Horst.
Un an plus tard, venu à Paris, il commence sa carrière avec Jean Renoir, rencontré au moment du Front populaire grâce à Coco Chanel (de même que son 1er amant). Le souci du réalisme du metteur en scène le marque beaucoup. Il est assistant à la réalisation avec Jacques Becker, Henri Cartier-Bresson et Yves Allégret en 1936 (le film ne sort qu’en mai 1946) d’Une partie de campagne et dessine les costumes. Il revient déçu d’un séjour aux USA. A cause de la guerre, il ne peut terminer à adapter avec ce même réalisateur La Tosca qui sera terminé par Carl Koch. Il collabore avec des intellectuels communistes à la revue Cinéma fondée par Vittorio Mussolini qui expose en filigrane la pensée de gauche de la jeune génération. Chez Visconti, naît l’idée d’un cinéma proche de la vie et des drames quotidiens du peuple.
2 de ses projets sont avortés : l’adaptation du roman d’Alain-Fournier Le grand Meaulnes et celui de Giovanni Verga (1840-1922, romancier italien le plus important du XIXème siècle et représentant du vérisme) Les Malavoglia. Il se rabat alors sur James Cain dont Pierre Chenal a déjà adapté Le facteur sonne toujours 2 fois. Ce sera Ossessione( ( Les amants diaboliques) en 1942 avec Clara Calamai ( qui participe plus tard à Nuits blanches) et Massimo Girotti. Le film est considéré comme le 1er du courant néo-réaliste. Son auteur écrit en 1943 dans la revue Cinéma : « Le cinéma qui m’intéresse est un cinéma anthropomorphique ». Le film est censuré par les autorités fascistes qui exigent la destruction des négatifs mais le réalisateur put en sauvegarder un exemplaire. IL reçoit un David di Donatello et un ruban d’argent pour la réalisation. A la fin du conflit, avec Mario Serandrei, il conçoit un documentaire sur la guerre des partisans : Giorni di Gloria (Jours de gloire).
Il s’intéresse à la mise en scène théâtrale et travaille dès 1945 avec Jean Cocteau : Les parents terribles avec Gino Cervi et La machine à écrire avec Vittorio Gassman qui a rejoint la compagnie et qui joue également dans Adam de Marcel Achard puis en 1948 dans la pièce de William Shakespeare Comme il vous plaira avec des costumes de Salvador Dali. En 1946 c’est Le mariage de Figaro de Beaumarchais avec Vittorio de Sica et Crime et châtiment de Gaston Baty avec Franco Zeffirelli. Visconti n’abandonnera jamais le spectacle scénique en général opéra compris.
En 1948, il adapte un livre de Verga La terra trema (La terre tremble), sur les conditions de vie des classes les plus défavorisée et est assisté de Francesco Rosi et Franco Zeffirelli (1923-2019 qui sera son amant) ; tourné en dialecte sicilien, le film ne connaît pas le succès, même si en 1950 il est doublé en italien. Il n’est pas de nature à faciliter la carrière de son auteur qui ne peut mener à bien l’adaptation du Carrosse du Saint-Sacrement d’après Prosper Mérimée. Visconti abandonne provisoirement le cinéma.
En 1949, il met en scène Un tramway nommé Désir d’après Tennessee Williams avec Gassman qui joue la même année avec Marcello Mastroianni Oreste puis Troïlus et Cressida de Shakespeare. Mastroianni est sur scène en 1951 pour Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, l’année suivante avec La Locandiera de Goldoni puis en 1955 Les 3 sœurs et Oncle Vania de Tchekhov.
Avec les mêmes assistants que pour La terre tremble il revient au 7ème art en 1951 avec un film sur le monde du cinéma Bellissima avec Anna Magnani et Walter Chiari ; c’est un demi succès. Avec cette actrice il tourne en 1952 Siamo donne (Nous les femmes) pour montrer la vie privée de 4 actrices : Ingrid Bergman, Alida Valli et Isa Miranda.
Senso, d’après un récit de Camillo Boito (1883), tourné en 1954 à Vérone est son 1er film en couleurs et révèle un nouveau Visconti qui met le cap sur ce qu’il définit lui-même comme « un réalisme romantique ». Il apporte beaucoup de soin au décor, à la mise en scène et au cadrage. Le thème en est la décadence humine, morale et physique présente dans tous ses autres films, mêlant violence et tensions. L’accueil fut mitigé car il abandonne le néo-réalisme de ses précédentes œuvres. Pendant le Risorgimento (l’Autriche occupe la Vénétie), une aristocrate vénitienne (Alida Valli) tombe amoureuse d’un officier autrichien (Farley Granger), trahit les siens et trompée dénonce son amant. Le réalisateur aurait préféré tourner avec Ingrid Bergman et Marlon Brando. La symphonie n°7 de Bruckner et Le trouvère de Verdi participent à l’action.
Après 3 ans d’interruption, le metteur en scène, qui voulait faire quelque chose de nouveau ( une fusion des genres théâtre et cinéma) avec des moyens limités et en noir et blanc réalise Le notti bianche (Les nuits blanches) d’après une nouvelle de Fiodor Dostoievski et obtient un Lion d’argent à la 18ème Mostra de Venise. Marcello Mastroianni, auquel le réalisateur voulait offrir un rôle valorisant, est entouré de Maria Schell et reçoit le ruban d’argent du festival de Taormine de même que Nino Rota pour la musique. Jean Marais n’osait demander la participation de Jean Marais car le rôle lui donne peu d’apparitions à l’écran mais le comédien accepte immédiatement en disant : « Aucun rôle n’est mineur dans un film du grand Visconti ». La facture s’éleva malgré tout car Maria Schell « Les yeux les plus chers de l’époque » que Visconti voulait compter dans sa distribution pour être Natalia exigea un cachet très élevé. Pour la 1ère fois, le film est réalisé entièrement en studios à Cinecitta où une sorte de Venise hivernale est reconstituée. Les habits des acteurs sont achetés sur les marchés et teintés pour rester neutres. Le texte a inspiré 3 autres adaptations : Robert Bresson en 1971 avec 4 nuits d’un rêveur ; en Inde en 2007 ; Paul Vecchiali en 2015 : Nuits blanches sur la jetée. En 2008, James Gray s’en est inspiré pour Two lovers.
Il revient au réalisme à la Verga en 1960 avec Rocco e i sui fratelli (Rocco et ses frères) inspiré des frères Karamazov de Dostoievski. Les déboires d’une famille émigrée à Milan sont interprétés par Alain Delon, Annie Girardot (que Visconti avait dirigée au théâtre l’année précédente à Paris avec Jean Marais dans 2 sur la balançoire), Renato Salvatori (qui épouse la comédienne 2 ans plus tard), Claudia Cardinale, Roger Hanin et Suzy Delair. Le film est censuré à causes de scènes violentes et crues. En 1961, il s’attaque à la censure dans Il lavoro (le travail) dans Boccace 70 avec Vittorio de Sica, Federico Fellini et Mario Monicelli.
Son plus grand succès est, en 1962, l’adaptation du roman de Giuseppe Tomasi Di Lampedusa sur une musique de Nio Rota Il Gattopardo (Le guépard), tournant dans lequel l’engagement politico-social s’atténue en un repli nostalgique de l’aristocrate sur la recherche d’un monde perdu et qui caractérisera les films historiques tournés ensuite. Le réalisateur indique lui-même qu’il aspirait à réussir la synthèse entre Mastro - Don Gesualdrode de Verga et A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Alberto Moravia écrit : « C’est le film de Visconti le plus pur, le plus équilibré et le plus exact ». Palme d’or à Cannes en 1963, sélectionné parmi les 100 films italiens à conserver, il réunit Burt Lancaster (mais Visconti aurait préféré Laurence Olivier), Alain Delon et Claudia Cardinale. La villa Boscogrande aux environs de Palerme fut restaurée en 24 jours. Pour le palais du prince, une façade fut élevée en 45 jours devant les édifices à côté de l’église de Ciminna qui séduisit le réalisateur. Le pavage de la place fut refait. Le ruban d’argent fut attribué au meilleur décor ainsi que pour les décors et la photographie. La scène de bal d’une durée de 44 minutes est devenue célèbre par sa durée et son opulence et eut lieu au Palazzo Gangi de Palerme où des meubles, bibelots et tapisseries furent prêtés pour meubler les amples espaces intérieurs. Des milliers de cierges devaient être rallumés au début de chaque session de tournage car le réalisateur désirait réduire au maximum les lumières électriques. Alain Delon dit : « Visconti s’est surtout fondé sur le prince Salina que jouait Burt Lancaster. Lui-même avait failli le jouer et nous l’avions tous encouragé à le faire. Finalement il n’avait pas osé et sans doute est-ce mieux comme cela. Le Prince c’était lui. Le film est son autobiographie. Chaque geste que fait Lancaster, c’est lui, Visconti ». Le tournage dure 15 mois et les pertes subies par le long métrage ainsi que celles de Sodome et Gomorrhe ont mis fin à l’activité cinématographique de la Titanus.
Il retrouve Claudia Cardinale en 1965 dans Vaghe stelle dell’ Orsa (Sandra). Le film, Lion d’or à la Mostra de Venise, est l’histoire d’un inceste avec Michael Craig, Jean Sorel et Marie Bell. « J’ai choisi le thème de l’inceste parce que l’inceste est le dernier tabou de la société contemporaine ». « « Ce qui m’a toujours intéressé, ce sont les situations extrêmes, les moments où une tension anormale révèle la vérité des êtres humains ». Celle qui interprète Sandra Dawdson dit : « C’est l’homme le plus élégant et le plus cultivé que j’aie jamais rencontré (…) Il a voulu que je joue avec la vraie robe de mariée de sa maman. Il m’invitait souvent à dîner dans sa maison de la via Salaria et, dans ma serviette, il cachait toujours un petit cadeau ». En 1966 il participe à un collectif Le streghe (Les sorcières) avec La strega bruciata (la sorcière brûlée vive) dans lequel jouent Silvana Mangano et dans un petit rôle Helmut Berger qui sera le dernier amant du réalisateur. En 1967 il adapte le roman d’Albert Camus L’étranger (Lo Straniero) avec Marcello Mastroianni, Anna Karina, Bernard Blier, Georges Géret, Georges Wilson et Bruno Cremer. Les dialogues sont écrits avec Georges Conchon. La veuve qui rappelait le souhait de l’écrivain que son livre ne soit pas adapté obligea Visconti à respecter ce vœu et à rester fidèle au livre, ce qui aurait été différent si le tournage n’avait pas dû attendre 3 ans.
En 1969, après avoir été président du jury du festival de Cannes, il conçoit un projet de tétralogie mais ne tournera que 3 films sur 4. La caduta degli dei (La chute des dieux : Les damnés) , titre qui fait préface à l’opéra de Wagner raconte l’ascension et la chute d’une riche famille (peut-être les Krupp) pendant la montée du nazisme. Helmut Berger, considéré comme le plus bel homme du monde en son temps et dont c’est le 1er grand rôle est travesti en Marlène Dietrich. Visconti, pour lequel l’acteur est celui qui incarne mieux que quiconque la perversion, lui apprend le métier d’acteur : « Berger est un jeune poulainplein d’inspiration et de qualité mais il doit encore se faire des os ». Charlotte Rampling et Ingrid Thulin complètent la distribution avec Dirk Bogarde qui joue également en 1971 dans Morte a Venezia (Mort à Venise) d’après le roman de Thomas Mann (1912). Sur fond d’épidémie de choléra, le thème de la vieillesse et de la quête de la beauté idéale avec en fond sonore la 5ème symphonie de Gustav Malher. Silvana Mangano est la mère de Tadzio (Björn Andrésen). En 1970 est tourné un documentaire : Alla ricerca di Tadzio. Cette année-là, à Cannes, il reçoit le prix du 25ème festival international pour ce film et l’ensemble de son œuvre. En 1972 est réalisé un des films les plus longs de l’histoire du cinéma, près de 5 heures : Ludwig (Ludwig, le crépuscule des dieux) sur la lente déchéance du roi Louis II de Bavière, réunit Romy Schneider qui incarne Sissi pour la 4ème fois, Trevor Howard, Silvana Mangano et Marc Porel. De son favori, dont la voix française est celle de Jean-François Poron, Visconti dit : « Il est parfait. Et il a depuis l’adolescence ces mêmes doux hystérismes, une mélancolie identique, plus désespérée à mesure qu’il prend de l’âge ». Dominique Paturel, Louis Arbessier et Patrick Dewaere (un page) assurent des doublages.
Victime d’un AVC qui le laisse à demi paralysé, il ne peut concrétiser son projet d’adaptation du livre de Thomas Mann La montagne magique (La montagna incantata) mais tourne cependant 2 films : en 1974, Gruppo di famiglia in un interno (Violence et passion), David di Donatello du meilleur film, tourné en anglais, autobiographique avec Burt Lancaster et Helmut Berger qui joue le gigolo de Silvana Mangano. Claudia Cardinale n’est pas créditée. Les 2 hommes ne vivaient plus ensemble et Berger eut une éphémère passion pour Marisa Berenson. Ce huis clos sombre et raffiné est considéré comme une œuvre testamentaire. En 1976, il réalise L’innocente (L’innocent) d’après L’intrus de Gabriele D’Annunzio, analyse du sentiment amoureux avec Laura Antonelli (alors qu’il souhaitait Charlotte Rampling), Jennifer O’Neill, Marc Porel et Marie Dubois. Un homme, qui plaide la liberté de pensée et de mœurs, trompe sa femme. Quand celle-ci attend un enfant d’un autre il devient fou amoureux d’elle qui le quitte. Il se suicide.
Passionné d’opéra, il a dirigé dès 1954 et à plusieurs reprises Maria Callas à la Scala de Milan. La vestale de Spontini, Anna Bolena de Donizetti, La sonnambula de Bellini, La traviata de Verdi. Il y eut également : Iphigénie en Tauride de Glück, Macbeth de Verdi au festival des 2 mondes à Spolète en 1958, Don Carlos sous la direction de Georg Sloti à Covent Garden ainsi que Der Rosenkavalier ou encore Falstaff.
Au théâtre, ce sont des mises en scène de textes de Sartre, Anouilh, Euripide, Strindberg ou encore Gide. En 1961 : Dommage qu’elle soit une putain de John Ford avec Alain Delon et Romy Schneider et en 1973 C’était hier de Pinter.
Victime d’une thrombose, le metteur en scène meurt, le 17 mars 1976 peu après avoir visionné son dernier film au montage. Celui-ci fut présenté dans cette version. Ses obsèques ont eu lieu en présence du président italien Giovanni Leone et d’acteurs comme Claudia Cardinale, Laura Antonelli, Burt Lancaster, Vittorio Gasman et Helmut Berger. Ses cendres sont depuis 2003 sous un rocher de sa villa La Colombaia à Ischia devenue un musée.
...........................................................................................................................................................Claudine